Souvenez-vous

La chasse gardée des partis politiques

Posté par ATB le 18 septembre 2011

En mai dernier j’écrivais quelques lignes et comme souvent, je me rebellais contre la chasse gardée des partis politiques qui s’octroient partout tous les pouvoirs et nomment leurs copains, notamment, dans les plus hautes instances internationales.

Je m’en prenais à la future nomination de la dame Lagarde au FMI, m’insurgeant contre le fait que l’on veuille nommer, une fois encore quelqu’un qui n’y connaît strictement rien du tout pour n’avoir déjà pas reçu la formation pour cela.

Voici mes mots : « Voilà encore un poste éminent qui est réservé aux politiciens, ces petits génies auto-proclamés par le système, leur système politique. Conviendrait-elle pour ce poste, selon moi, pas du tout. Elle est simple juriste, avocate de formation. J’y verrais plutôt un économiste, en tous les cas quelqu’un qui a la formation et l’expérience requises, donc pas du tout un avocat. Le poste devrait revenir à un gouverneur de Banque Centrale. En France il y a, par exemple, Jean Claude Trichet, ingénieur civil, diplômé en économie et président de la Banque Centrale Européenne, un candidat comme ça semblerait plus indiqué, mais il aurait dépassé la limite d’âge… Lagarde à la tête du FMI, c’est mettre un peintre dans le cabinet d’un dentiste ou un éboueur dans celui d’un radiologue. »

C’est fou ce qu’il y a de juristes en politiques, à croire qu’au-delà du droit, ils ne sont pas capables d’apprendre autre chose. Ce qui m’amuse c’est qu’aujourd’hui, je tombe sur un commentaire de Guy Sorman qui date du 28 août dernier. Depuis mai, l’eau est un peu passée sous les ponts, Madame Lagarde a pris ses fonctions et Guy Sorman a pu juger ses premières initiatives.

Je pensais aussi qu’un homme comme Jean-Claude Trichet était plus indiqué qu’elle pour ce poste, il se trouve également que c’est justement lui qui la critique poliment.

On ne pourra pas dire que je n’ai pas eu le nez fin…
Voici le texte en intégralité :

Comment faire taire Mme Lagarde?

New-York,
Avant que Dominique Strauss-Kahn ne transforme la direction du FMI en une tribune publique, ses prédécesseurs agissaient en silence: non par discrétion mais parce que leur statut de haut fonctionnaire leur interdisait de prendre des positions publiques et que, par ailleurs, employés par des gouvernements, ils ne pouvaient pas manifester une véritable indépendance. Il est ainsi notoire que Michel Camdessus ou Jacques de Larosiére désapprouvèrent des prêts à fonds perdus à la Russie et quelques autres kleptocraties : ils durent tout de même exécuter. Ce silence obligé ne les empêchait pas de préconiser auprès des Etats membres, la création de bonnes institutions à même de générer la croissance à long terme. C'est ainsi, grâce à cette pédagogie discrète, que la plupart des Etats se sont dotés de Banques centrales indépendantes qui en gérant les monnaies de manière stable et prévisible, ont éliminé l'inflation pernicieuse et enclenché le développement de nombreux pays d'Afrique et d'Amérique latine.

Hélas, Strauss-Kahn depuis son perchoir et par ambition, s'était lancé dans les conseils en politique économique conjoncturelle, le plus aléatoire, le moins scientifique des exercices puisqu'il est dicté par les échéances électorales des Etats membres. Le FMI a ainsi contribué à encourager la "relance" de l'économie par la dépense publique depuis la panique financière de 2008: aucun emploi, aucune croissance n'en a surgi mais seulement une dette mirobolante qui paralyse la croissance et l'emploi.

A ce seuil, Madame Lagarde a repris à son compte le script que Strauss Kahn avait dû oublier sur la table et exhorte à son tour les Etats membres à en faire plus! Il faudrait peut-être, après trois ans de gribouillages dits keynésiens pour faire savant, que ces Etats en fassent moins. C'est en substance ce qu'a déclaré Jean Claude Trichet à la même conférence de Jackson Hole, Wyoming, contredisant point par point Madame Lagarde mais avec tant de délicatesse que nul ne s'en est aperçu. Trichet, se fondant sur la pratique et l'expérience des nations, a fait observer que celles qui s'en sortaient le mieux, l' Allemagne, pour ne pas la citer, avaient depuis des années amélioré leurs structures de production et en particulier, rendu plus flexible le marché du travail. Disciple de Joseph Schumpeter et pas de Keynes, Trichet est un adepte de ce que l'économiste autrichien appelait la "destruction créatrice" : c'est quand on peut supprimer des activités obsolètes qu'il est permis d'en créer des innovantes. Tout en aidant à la reconversion des travailleurs en difficulté.

Tout marché dont on ne peut pas sortir est un marché où il est difficile d'entrer: on comprend ainsi que ce qui est public étant immuable, plus le secteur réglementé est vaste, moins la création d'emplois nouveaux est aisée. Plus la dette est importante, moins le capital à risque pour des activités nouvelles est disponible. Sans toujours citer le cas de la France, où rien n'é été fait depuis 2008 pour un marché plus dynamique, arrêtons-nous un instant au Japon: contrairement à l'idée que l'on s'en fait, il est à peu près impossible au Japon de fermer une entreprise, ni de licencier: l' Etat offre même son soutien aux entreprises en difficulté pour qu'elles restent en activité: on les appelle des entreprises zombies. Pas de chômage mais plus de croissance et un épuisement de l'innovation: tel est devenu le Japon nouveau.

On regrettera donc que Mme Lagarde use de son influence toute fraîche pour entonner de vieilles rengaines au lieu d'étudier le monde tel qu'il est et que Trichet connait mieux qu'elle. On regrettera aussi que Madame Lagarde, attirant justement l'attention sur la faiblesse des ressources en capital de certaines banques européennes, ait fait appel à une recapitalisation publique comme si les banques n'étaient pas des entreprises et comme si elles ne pouvaient pas renouveler leur actionnariat: décidément, l'économie n'est pas pour la directrice du FMI une discipline.

Le 9 septembre, lors d'une réunion des Ministres des finances à Cannes, Madame Lagarde déclare que son évaluation des besoins financiers pour la recapitalisation des banques européennes était fausse et qu'un nouveau document plus exact serait prochainement diffusé. Valéry Giscard d’ Estaing déplore que l'on ait nommé à la tête du FMI une personne aussi "incompétente" .L' erreur de madame Lagarde aura tout de même provoqué une panique boursière et suscité quelques milliers de licenciements dans le secteur bancaire. On finit par regretter les frasques de Dominique Strauss Kahn: lui au moins aura démissionné.

New-York, 28 août »
Article 

Voilà qui est bien dit et je ne peux que vous recommander à tous cet auteur brillant qui écrit tant de choses justes, courageuses et tellement éloignées de cette pensée unique chère au monde politique et aux médias qui l’entourent, le soutiennent ou le vénèrent en faisant mine de le contredire timidement.